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Au fil des jours, je partagerai avec vous des écrits sur ce qui m'inspire.

Photo du rédacteurAndrée Condamin

De l'intérieur (partie 3)

Rester Vivant

Quand j’ai commencé une réflexion sur la crise du coronavirus, en écrivant De l’intérieur, je pensais naïvement conclure un mois ou deux après.

Six mois ont passé.

Temps suspendu.

Des projets passent dans le cerveau et se dissolvent.

Des occupations, plus ou moins nécessaires, tentent de combler un vide sans y parvenir.

Difficile d’y voir clair, de nommer.

Je sens pourtant la nécessité d’essayer de cerner ce qui se passe en moi et autour de moi, pour sortir de l’enfermement.

D’abord, une approche par la négative.

Ce n’est pas le temps de guerre de mon enfance. Du moins ici, dans ce coin du monde, privilégié.

Pas de soldat embusqué au coin d’une rue.

Pas de disette.

Pas de marché noir où l’on tente d’acheter quelques œufs ou du lait à prix d’or.

S’il faut faire la file pour une baguette de pain, c’est sagement, en attendant son tour.

Pas d’arrivée, la nuit, d’un détachement de la gestapo, à la suite de quelque délation, faite parfois par conviction, le plus souvent par jalousie.

Ce n’est pas la terrible grippe espagnole. Ni la peste dévastatrice.

Pas de cadavres ramassés dans les rues par des hommes qui se protègent le visage avec des tissus trempés dans du vinaigre.

Ce n’est pas la colère d’un Dieu vengeur, ni d’une Dame Nature furibonde et déchaînée dont un Hermès animal serait le messager.



Pourtant, un vocabulaire guerrier rappelle que c’est un temps de combat.

Pourtant, à un coin de rue, le petit virus en forme de fleur pourrait nous sauter au visage.

Pourtant, certains profiteurs modernes ont entassé farine et papier de toilette, sans se soucier des autres.

Pourtant, certains bien-pensants ont cru bon d’appeler la police pour empêcher quelques jeunes gens de profiter de plaisirs enviables.

Et, si l’on ne trempe plus les tissus protecteurs dans du vinaigre, si les masques colorés témoignent de beaucoup de créativité, ce n’en sont pas moins des masques rappelant que l’ennemi est partout.

Pendant la deuxième guerre mondiale, les murs des villes étaient placardés du slogan : Attention des oreilles ennemies vous écoutent.

Le slogan actuel, lui, est martelé dans les journaux et les nouveaux médias. Attention tout contact avec les autres vous menace. Et vous êtes une menace pour eux.

Pas une vraie guerre donc mais quand même…

Il n’y a pas de couvre-feu mais une atmosphère étrange pèse sur la ville. Le Québec estival et festivalier a disparu. Les bruyants autobus touristiques bondés qui -il faut bien le dire- rendaient les rues presque impraticables- passent, de temps en temps, presqu’en silence, presque vides, presque gênés.

Tout voyageur deviendrait donc une menace en puissance, un coupable en puissance.

L’Autre, à moins -peut-être- qu’il soit de notre famille, de notre groupe, de notre village, de notre région, de notre province, de notre pays, de notre continent, deviendrait donc l’ennemi?

C’est là que s’arrête ma soumission aux ordres.

Comme dans toute guerre, on ne peut éviter de se positionner, de se protéger, de se défendre, voire d’attaquer. Moi, pas plus que les autres.

Cela n’empêche pas de réfléchir.

Et d’abord bien connaître l’ennemi. S’il est vrai qu’il a actuellement une forme identifiable, la lutte contre lui n’est qu’une lutte à court terme.

Nous le savons depuis longtemps, avec notre mode de vie, nos désirs sans limites, toujours plus, toujours plus, plus gros, plus loin, plus et plus encore, nous courrons -et de plus en plus vite- vers un désastre.

La Covid 19 n’est qu’un épiphénomène. Un vaccin pourra probablement l’éradiquer mais il n’y a pas de vaccin miracle contre la destruction de la nature, contre le mode de société injuste et violentant qu’engendre un capitalisme de plus en plus en plus sauvage.

Si ce virus nous sert, me sert de révélateur, de choc cathartique il n’aura pas été inutile.

Ce n’est pas que je pense qu’il y a eu un avant virus, et qu’il y aura un après, proche de la perfection.

J’ai espéré et j’espère encore un monde de demain plus juste, plus humain que le nôtre, un monde où les beaux principes liberté, égalité fraternité se concrétiseraient de plus en plus. Mais, même à vingt ans, lorsque je chantais les paroles de l’Internationale :

Du passé faisons table rase

Foule esclave debout, debout

Le monde doit changer de base

Nous ne sommes rien soyons tout

je savais bien qu’il est dangereux de vouloir faire table rase du passé.

On ne peut sans risque faire table rase de son histoire personnelle. Les « passe à autre chose » « fais ton deuil » si souvent entendus, mènent à des rigidités, à des impasses, à des maladies.

Faire table rase du passé collectif est tout aussi dangereux.

Après la prise de la Bastille, après la nuit du quatre août, se sont dressées les guillotines, chacun pouvant, sans preuve, dénoncer son voisin. Les goulags staliniens ont eu tôt fait de briser l’élan révolutionnaire. Après le Il est interdit d’interdire de mai 1968, après le Peace and Love, un capitalisme de plus en plus sauvage a planté partout ses griffes acérées. Les contestataires d’ hier devenant parfois les pires patrons d’aujourd’hui.

Je me méfie donc des lendemains qu’on annonce trop chantants, sans quelque refrain avec un peu plus de bémols.

Mais, comme pour tout événement majeur, un retour réflexif peut permettre une transformation.

Il y aura des transformations négatives, elles sont déjà à l’œuvre: autoritarisme, repli sur soi, isolement, fausses nouvelles exacerbant la haine et la peur, superstitions…. Entre croyances farfelues en un quelconque remède miracle et théories du complot, tout est en place pour asservir des esprits fragiles qui tentent, le mieux qu’ils peuvent, de se rassurer, sans se demander à qui profite tout cet amalgame charlatanesque.

À moins de découragement, à moins d’un pessimisme mortifère, je préfère tourner mon regard vers les ouvertures, les espaces, vers les renouveaux. Il y en a beaucoup. Ils étaient en germes.

La collaboration, l’empathie, le respect du vivant sont les puissantes armes du guerrier pacifique.

Des livres, des films phares nous en avait informés et cela depuis longtemps.

À mes yeux scintillent comme autant de guides La vie secrète des arbres, Demain, La terre vue du ciel….

Du côté de l’imaginaire, j’ai un attachement tout particulier à Avatar qui réjouit mon esprit d’enfance, ce temps où l’on sait que cette petite pierre, cette fleur de pissenlit, ce scarabée aux ailes moirées sont des trésors; où l’on ressent, sans pouvoir mettre des mots, un lien entre toute chose.

Nous sommes tous reliés et reliés à tout. Voilà je crois, la connaissance essentielle que cette crise amène au grand jour.

Certes, la prise de conscience de ces liens se fait d’une manière assez brutale. On préfèrerait l’enseignement de l’héroïne d’Avatar, la belle Neytiri à celui du coronavirus…

Mais c’est ainsi.

Nous sommes reliés par les drames, mais aussi par la vie vivante, forte, vibrante.

Reliés par les larmes et la joie.

Rester vivant, sans nier la maladie, la mort, quelle magnifique perspective!

Je veux, malgré le masque continuer à sourire aux gens que je croise, même à ceux qui font un saut en arrière, apeurés et critiques. Laisser ce sourire monter jusqu’à mes yeux, comme un vrai signe de cordialité.

Recevoir, avec gratitude, le sourire des autres; me réjouir d’entendre des groupes de jeunes gens fêter, assis sur la pelouse, à distance l’un de l’autre, l’anniversaire de l’un d’entre eux, et célébrer la vie qui continue, au lieu de vérifier s’il y a bien deux mètres entre eux.

Fermer la porte aux prêcheurs de malheurs, aux niaiseries fussent-elles présidentielles, aux gros tires catastrophes.

Oser les élans du cœur.

Oser l’espoir.

Les philosophes parlent de plus en plus du Vivant pour nous inciter, à percer notre bulle de petits humains qui se prennent pour le nombril du monde. Pas plus que le soleil tourne autour de la Terre l’univers ne tourne autour de nous. Nous en faisons seulement partie… tout comme les virus…. C’est peut-être dur à admettre mais c’est ainsi.

La pandémie est une épreuve. Elle peut devenir une leçon.


Ceci conclut mes reflexions partagées dans De l'intérieur (partie 1) et De l'intérieur (partie 2).

- A. Condamin

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