Il y a de cela bien longtemps, depuis quand ?, c’est difficile à dire, les animaux ont décidé de tenir un conseil tous les cinquante ans.
C’est sûr que tous les cinquante ans, ce n’est pas beaucoup, mais il y a tellement de monde à réunir !
Les animaux à deux pattes, ces fanfarons, sûrs de leur supériorité, ont voulu se différencier. Ils se rassemblent toutes les années. Au lieu de tenir un conseil, ils font une fête qu’ils ont appelé la fête du nouvel an. Ils se souhaitent une bonne santé puis ils mangent et boivent à en en être malades. Ils font des vœux qu’ils ne tiennent pas, ils sont vraiment bizarres, On voit que marcher sur deux pattes leur a trop éloigné la tête du sol. Ils semblent avoir complètement oublié qu’avant, ils participaient, eux aussi, au Grand Conseil. D’un côté , ça vaut mieux, ils seraient capables d’arracher les beaux arbres aux pieds desquels se tient le conseil ou d’en profiter pour faire un carnage. Avec eux on ne sait jamais, plus on est prudent mieux c’est.
Le grand conseil se déroule donc sans eux. Mais tous les autres animaux y participent, même indirectement.
Ça aurait été bien de rassembler tout le monde, comme dans le Roi Lion. Les pies bavardes nous ont raconté l’histoire au dernier conseil - chaque groupe responsable du conseil doit raconter une histoire pour mettre un peu d’ambiance avant de passer aux choses sérieuses-. On a adoré. Mais il faut être réaliste, réunir tout le monde ce n’est pas possible. Il y a eu bien des pépiements, des tapages d’ouïes, des braillements, des beuglements, presque des batailles avant de décider de l’organisation. Vous savez ce que c’est , il y en a qui pensent que beugler plus fort que d’autres leur donne des droits. Mais, finalement, la suggestion des ouistitis l’a emporté. De là l’expression, malin comme un singe.
Chaque groupe, les nageants, les rampants, les volants, les grimpants , les marchants, même s’ils se déplacent très près du sol, doit être représenté par quatre délégués : deux mâles, un vieux, un jeune ; deux femelles, une vieille, une jeune.
C’est bien d’avoir l’avis de deux générations, comme ça, entre les vieux qui ne veulent pas changer grand-chose et les jeunes qui sont prêts à tout révolutionner, ça crée un équilibre. Les mâles et les femelles apportent des idées différentes mais, même ceux qui ne savent pas s’ils sont mâles ou femelles peuvent être délégués.
Il y a eu bien des hésitations pour décider si on invitait les domestiqués qui vivent avec les animaux à deux pattes. Est ce qu’ils étaient encore des vrais animaux, pouvait-on leur faire confiance? Ce sont les ratons laveurs qui ont fait pencher la balance. Avec leurs lunettes, ils arrivent à déchiffrer les grimoires des deux pattes. Ils nous ont parlé d’un gros livre écrit par un deux pattes très sympathique, il y en a. Ce livre montre que les animaux, même domestiqués, sont très intelligents. Que les plus petits peuvent aider les gros. Par exemple, il y a un rat qui délivre un lion. Mais il montre aussi que, malheureusement, parfois, les deux pattes ne sont pas tout seuls à être menteurs ou injustes. Les renards n’ont pas apprécié qu’on leur dise qu’ils trompent les corbeaux mais, il y a une histoire sur les Animaux Malades de la Peste qui n’est pas à notre honneur et qui nous a fait réfléchir. Je me dis qu’on ferait bien d’y penser cette année où une sorte de Peste fait des ravages.
Finalement, comme il y a un moment entre chien et loup où on ne sait pas qui est qui, il a été décidé que les domestiqués auraient droit de parole mais pas de vote. Je trouve que c’est bien.
Au fait, je ne vous ai pas encore dit qui je suis, mais vous l’avez sans doute deviné. Vous m’avez vu dans Harry Potter. Mais, non, pas Dumbledore, même si, comme deux pattes, il est chouette. Mais non, pas Celui dont on ne doit pas dire le nom, qui fait injure aux serpents.
Allez, faites un effort. Mais bien sûr, je suis Phénix, celui qui renaît de ces cendres, sinon comment pourrais-je vous raconter tout ça ?
Je peux vous dire que j’en ai fait des allers et retours dans le temps, pour transmettre les messages, en vue de l’organisation des conseils.
Revenons à nos moutons. Comme si les moutons savaient où ils vont. Ça prenait bien des deux pattes pour utiliser cette expression!
Vous me suivez?
Je ne recommence pas du début parce que je ne sais pas quand ça a commencé. Je n’ai que 400 ans, mais mon père qui tenait ça de son père m’a dit ce qu’il avait appris, de source sûre. Et c’est sûr qu’une source connaît beaucoup de choses, la mémoire de l’eau c’est bien utile
Donc, les membres d’un groupe doivent choisir quatre délégués. Pas simple. Il est interdit de tricher. Pas question, pour une reine abeille qui se présente, de refiler, en douce, du miel à des ouvrières, pour qu’elles agitent leurs ailes pour elle, au moment de voter. Il est interdit de mentir au sujet de son concurrent. Pas question, pour l’ours candidat de dire que Baloo est complètement sénile et fricote en douce avec Tarzan, un petit deux pattes, pour truquer le conseil.
On vote à pattes, à ailes, ou à écailles levées, on bat des nageoires. Parfois, c’est une belle pagaille. Il y toujours des protestations. On a mal compté , certains ont levé deux pattes au lieu d’une, mais on rappelle les règles établies par les pères fondateurs des conseils et on finit par y arriver.
Puis tous les délégués choisissent le Premier Conseiller, celui qui dirigera le conseil. C’est un honneur en même temps qu’une lourde responsabilité.
C’était trop compliqué de faire participer les arbres, les plantes, et les pierres, même si on sait qu’on vient tous de la même origine (il semble que maintenant certains deux pattes, pas nombreux, s’en souviennent). Mais ils aident très gentiment en faisant passer des messages, les arbres par leur réseaux de racines, les plantes en agitant leurs feuilles. Les pierres, elles, se mettent en cercle pour protéger les membres du conseil. Si un deux pattes s’avise d’entrer dans le cercle, abracadabra, il disparaît.
À la fin de chaque conseil on décide du lieu où sera tenu le suivant. Ça c’est assez facile. Le premier conseil s’est tenu là où Le Soleil se levait - on devrait donc dire que le conseil date du jour des temps et non pas de la nuit des temps- puis les autres ont suivi sa trajectoire. Une fois dans un lieu où il se lève, la fois suivante à un endroit où il est droit dans le ciel, puis quand il descend à l’horizon, ensuite quand il disparaît et la dernière fois, en pleine nuit, et on recommence. Comme la nuit porte conseil, celui qui se tient la nuit est vraiment inspirant, surtout si c’est la pleine lune.
J’ai tellement l’habitude de voler dans tous les sens que je vous perds peut être? D’ailleurs vous n’aimez probablement pas que je critique les deux pattes puisque vous en faites partie, mais c’est difficile de faire autrement.
Courage, je me rapproche du but.
Je ne vous ai pas choisis pour rien. Attention, pas de fausse fierté, pas de posture, mèche pointée comme une flèche sur le front, pas droit aux nouvelles inventées. Vous serez des messagers bénévoles, tout simplement.
Les premiers conseils se sont tenus en vue de favoriser l’harmonie entre tou
s, le vivre ensemble, malgré les difficultés. Pas facile pour les gazelles de reconnaître que les guépards ont faim. Mais finalement, sans établir de quotas, les animaux ont accepté des règles. Ne tuer que pour se nourrir et nourrir sa famille ; s’entre aider. C’est ainsi qu’une mère peut nourrir un petit qui a perdu la sienne. On a même vu une louve nourrir des petits deux pattes. Si vous ne me croyez allez là où mènent tous les chemins.
Bien sûr, il y a eu des moments difficiles, des catastrophes, des tremblements de terre, des inondations….
Le pire est arrivé quand les animaux à deux pattes sont devenus bêtes et méchants. Je sais, je sais ils ne le sont pas tous....
Au début, ils respectaient les règles. Puis, ils ont décidé de se prendre pour d’autres. Les mâles surtout. Ils ont commencé à tirer leurs femelles par leurs crinières et même à les battre. Vraiment sauvage.
Ils se sont mis à chasser les autres animaux pas seulement pour se nourrir, ils les ont traqués, capturés, laissé pourrir dans les prairies. Des groupes d’animaux entiers ont disparu de la surface de la terre, des mers, des airs. Moi, qui vous parle, j’ai bien failli y laisser mes plumes.
Alors de conseil en conseil les animaux ont décidé de se défendre.
Que faire d’autre?
Un conseil a donné le droit aux renards d’entrer dans les poulaillers; un autre a permis aux loups de tuer des moutons même si les chiens bergers ont protesté.
Et nous voici en cette année 2020.
Ce devait être un conseil particulièrement important, en pleine nuit, sous la lune.
Le Pangolin, en toute modestie avait été élu Premier Conseiller.
Mais ça ne s’est pas passé comme prévu.
Il ne l’a pas eu facile.
Je vous transmets son discours de fin de mandat.
Chers animaux de la terre,
J’ai été fier d’être élu, moi qui suis tout petit, mais j’ai trouvé l’année bien difficile. J’ai été accusé par les animaux à deux pattes de les rendre malades, de les faire mourir. Mais ce n’est pas de ma faute , ni de la vôtre, d’ailleurs.
Ils n’ont pas compris que l’occupation de tous nos territoires devenait dangereuse pour eux. La promiscuité, ce n’est bon pour personne.
Ils nous ont capturé, vous les éléphants pour votre ivoire, vous les baleines pour votre huile, vous les ours pour vos peaux qu’ils jettent par terre … je ne continue pas, sinon je vais pleurer avant la fin de mon discours.
Moi, il m’ont pris et amené sur un marché, pour vendre mes écailles. Ils croient qu’elles vont rendre leur sexes aussi durs qu’elles. C’est complètement fou ! J’ai vraiment eu peur. Moi qui étais si fier de présider le conseil !
J’ai appelé Au secours Au secours, j’ai tapé pendant longtemps, avec mes pattes SOS SOS . J’étais désespéré. Heureusement, la nuit venue, une chauve-souris m’a entendu et m’a pris sous son aile. Vous dire mon soulagement ! Je suis revenu chez moi mais. pendant que je préparais le conseil, j’ai eu la visite d’un aigle globe-trotter.
« Il faut que tu te caches, camarade pangolin. Les animaux à deux pattes tombent comme
des mouches et ils t’accusent de leur avoir apporté une drôle de maladie. Ils veulent te tuer, toi et tous les tiens. Saute sur mon dos, je vais t’emporter au loin» .
C’est la première fois que je voyais le monde de haut. J’ai beaucoup aimé.
L’aigle m’a expliqué qu’on avait de la chance parce que le ciel était devenu très calme depuis que les animaux à deux pattes avaient peur. Il m’a montré des biches qui marchaient dans des rues. Je les ai trouvé belles.
J’étais content de ce qui se passait.
Puis j’ai vu des vieux deux pattes qui n’arrivaient plus à respirer, d’autres qui pleuraient. Mes écailles se sont mises à cliquer, signe chez moi que quelques chose ne va pas.
Après un long moment, l’aigle a fait un piqué vers la terre. Time out, a -t-il soupiré, avant de s’endormir.
Je réfléchissais quand j’ai vu arriver un domestiqué. C’était un chien. Il a poliment léché mes écailles mais il avait l’air triste. «Mon maître ne va pas bien m’a-t-il dit, j’ai peur qu’il meure. Toi qui as été élu chef du conseil, tu ne pourrais pas faire quelque chose ? »
J’ai bien hésité. Aider les deux pattes ce n’est quand même pas évident. Mais bon, le chien me faisait de la peine.
Je me suis rappelé le but des premiers conseils et la nécessité du bien vivre ensemble.
J’ai réveillé l’aigle, je lui ai demandé d’aller chercher tous les rats disponibles- je lui ai interdit de les manger- . Être Premier Conseiller, ça donne du pouvoir.
Une fois les rats réunis, je leur ai suggéré d’entrer dans les grandes pièces blanches, que les deux pattes appellent des laboratoires. Au début, les rats ne voulaient pas, le seul mot de laboratoire les fait fuir, on peut les comprendre.
Finalement ils ont accepté mon idée quand je leur ai promis de leur donner la parole, en premier, au conseil. Il faut ce qu’il faut.
Ils ont appris la formule pour fabriquer un contrepoison, que je connaissais puisque le poison venait de moi - involontairement – je tiens à le dire .
Œil pour œil, dent pour dent,
Une fois à l’endroit, une fois à l’envers
C’est le médicament
Pour sortir de l’enfer.
Les deux pattes ne se sont douté de rien mais les rats ont laissé tous les indices nécessaires .
Tout devrait se régler au mieux.
Alors, chers animaux, je peux en toute bonne conscience vous souhaiter une bonne année 2021.
Il a été à la hauteur, le petit pangolin a repris le Phénix.
Grâce à lui, on pourrait dire que tout est bien qui finit bien. Moi, je préfère : Tout peut recommencer en mieux.
Mais comme les deux pattes ont la mémoire courte, vous, mes messagers, allez leur chuchoter à l’oreille, aussi longtemps qu’il le faudra :
Paix sur la terre à tous les animaux de bonne volonté
Et même à ceux qui n’en n’ont pas.
- A. Condamin
Merci pour ce merveilleux conte de Noël. Réaliste, il nous amène vers une longue réflexion sur notre monde d'aujourd'hui. Ensemble nous pouvons donner le meilleur de nous- même.
Je vous souhaite un beau Noël et beaucoup de bonheur en cette période de fêtes.