Regards sur la mort : c’est le titre de l’atelier qu’avec une amie, Johanne Daoust, nous avons préparé et présenté récemment.
Les participantes et participants ont souligné l’intérêt et l’importance de partager leurs réflexions sur ce sujet, en toute liberté. Aussi Johanne reprendra-t-elle le bâton d’animatrice. Il s’agit bien sûr du bâton de parole et non de quelque fouet avec lequel des censeurs, toute religion confondue, menaçaient et menacent encore les pauvres pêcheurs!
Quant à moi, même si j’aime encore préparer et animer un atelier, l’écriture me tient maintenant plus à cœur. Elle fait partie des saveurs de ma vie.
Et c’était bien le sens de l’atelier : Après avoir évoqué sa mort, voir ce qui est important, essentiel, dans ce temps qui reste. Réfléchir, certes, mais aussi continuer à imaginer, à rêver.
Sur la mort, sur ma mort, je ne connais certes ni le moment, ni la forme qu’elle prendra.
Mais je connais mon souhait. Il m’est venu clairement un matin, dans un de ces moments où rêve et réveil se confondent et où les mots et les images apparaissent avec une précision incontournable. J’ai reçu comme un cadeau la phrase dans ma tête, au petit matin : « Je suis née en guerre et en manque d’amour, je voudrais mourir en paix et aimée ».
J’en ai déjà parlé dans un texte précèdent mais mon souhait reste le même.
Ce souhait s’il se réalise viendrait déjouer, dénouer une arrivée au monde difficile :Temps de guerre, de peur. Moment de solitude et de rejet ressenti par un bébé qui n’avait le sexe attendu.
Comme celle de tant d’autres ma naissance a été exigeante. Il est difficile d’entrer dans la vie, comme de la quitter.
Je suis née en guerre et en manque d’amour, je voudrais mourir en paix et aimée. Il me semble qu’ainsi un cercle serait bouclé.
Une fois ces mots entendus, ils n’en deviennent pas réels pour autant. Travailler à essayer de les réaliser est nécessaire. Je m’y emploie du mieux que je peux.
Pour la guerre, je me sens impuissante s’il s’agit de celles qui se trament, inlassablement entre états. Des poudrières continuent hélas à rougeoyer un peu partout. Et je ne peux espérer quitter un monde en paix. Reste la paix intérieure, insuffisante mais nécessaire, petite maille de la trame du grand tissu planétaire, petite plume sur l’aile de la colombe.
Pour les tensions entre les gens, entre les groupes, qui sont vives en ce moment, je m’applique avec plus ou moins de réussite, à ne pas les envenimer. J’essaie de faire mienne les paroles de Spinoza : Ni railler, ni maudire, ni détester mais comprendre.
C’est loin d’être évident. J’y échoue plus souvent que je n’y réussis. Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage disait Boileau mais vingt fois n’y suffisent pas! À poursuivre.
Avec mes proches, mon souhait est déjà réalisé. L’amour, l’amitié, la tendresse sont les bases sur lesquelles la vie s’irise de couleurs vives ou douces et nuancées. Où elle prend sa saveur.
Savourer la vie jusqu’à son terme même si elle a un terme, parce ce qu’elle a un terme. Savourer la vie entrelacée indissociablement à la mort.
De nombreux philosophes en ont parlé, comme le vivifiant centenaire Edgard Morin. Merci à eux.
En préparant l’atelier, je me suis rendu compte que j’avais appris très jeune l’indéfectible lien Vie-Mort.
Tous les onze novembre, avec les enfants de l’école, j’allais chanter près du monument aux morts. Les noms de ceux qui n’étaient jamais revenus dans leur village y étaient inscrits. Nos chants les remerciaient, eux qui nous avaient permis d’être en vie.
À tous ceux partis en guerre
Sans en revenir
Venons offrir avec nos mères
La tendre fleur du souvenir
Les chants choisis par l’instituteur, mon père, n’étaient pas des hymnes guerriers et sans doute quelques bien-pensant, quelques matamores du village n’y trouvaient-ils pas leur compte.
À la fin de la guerre, mon père ayant organisé un bal dans la cour de l’école, le curé du village, censeur mortifère de tous les plaisirs charnels … ( je dirais bien hormis les siens, si Spinoza ne m’interdisait pas de railler) le curé, donc, était venu haranguer les danseurs : On ne danse pas sur les morts.
Mais non, monsieur le curé , on ne danse pas sur les morts, on danse grâce à eux. On chante pour honorer leur mémoire.
On danse pour ceux qui nous précèdent et pour ceux qui nous suivent.
Danser malgré la mort, danser parce que la mort.
Savourer la vie jusque à son terme.
Dans le roman Train de nuit pour Lisbonne, de Pascal Mercier, un personnage parle des expériences à faire avant de mourir. Il ne s’agit pas d’insignifiantes petites joies et de plaisirs fugitifs comme lorsqu’on avale un verre d’eau par une chaleur torride et poussiéreuse. Il s’agit de choses que l’on souhaite faire et vivre parce qu’elles seules permettront à notre vie de former un tout et parce que sans elles, la vie resterait incomplète.
Puis il s’étonne en voyant des gens fatigués, malades qui ont une volonté de vivre sans chercher un sens plus profond à leur vie et se dit qu’ils veulent peut-être tout simplement goûter encore la substance de leur vie aussi facile ou pénible, aussi pauvre ou opulente qu’elle soit.
Ces deux attitudes lui semblent s’opposer de façon radicale.
Lorsque j’ai lu ce passage je me suis dit que les deux peuvent être présentes à des moments différents et qu’elles ont toutes les deux leur importance.
Au cours de l’atelier Embrasser la mort, l'animateur nous avait demandé d’écrire un texte pour parler de ce que nous voyions comme un accomplissement avant de mourir. Voici ce que j’ai écrit.
Tisser des liens
Souples comme bras d’enfants
Forts comme branches d’arbres
Lancer mon fil dans le courant de la vie
Sans leurre, sans harpon
Tendre les mains
Ouvrir mon cœur
Jusqu’à trouver au fond un trésor
Pour l’offrir
Puis disparaître sans bruit
Me dissoudre dans la terre
Dans le ciel
Dans la lumière et les ombres
Devenir souffle
Dans le souffle du vent.
C’est un vœu.
Comme tous les vœux dont on ne peut qu’espérer qu’ils se réaliseront….
- A. Condamin
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