Comme je pensais à écrire pour souligner une fin d’année qui s’immobilise, paralysée par un ennemi invisible, deux images me sont venues.
La peinture de Monet : La Pie. Dans un paysage enneigé, un oiseau solitaire semble attendre une improbable chaleur.
Et un souvenir d’enfance : Ma mère- institutrice écrit au tableau. J’ai sept ou huit ans, je porte une blouse noire et une paire de galoches. Je lis au fur et à mesure les mots tracés à la craie, je les récite dans ma tête.
La longue plaine est blanche, immobile et sans voix…
Oh la terrible nuit pour les petits oiseaux….
Ils sont là tout tremblant sans rien qui les protège…
J’ai les larmes aux yeux et, en même temps, je ressens à l’intérieur de moi, une douceur qui me réchauffe. Maupassant et sa façon de décrire les douleurs humaines deviendra un de mes auteurs préférés.
Un oiseau résiste à la dureté de l’hiver en attendant le printemps.
Une enfant s’enveloppe des mots d’un poème comme d’une doudou. Elle comprend les oiseaux, ils lui ressemblent.
Fin 2021. Début 2022
Temps difficile. Le printemps semble loin.
Tâtonner jusqu’à trouver là où la sève refait ses forces, même si l’arbre semble mort.
Lorsque je ne vois plus le tracé de ma route, j’ai pris l’habitude de consulter le Yi Jing. En général, cette forme de sagesse m’apaise, m’éclaire.
En 1983, une amie m’a offert un gros livre jaune : Le classique des changements. Devant mon air interloqué, elle m’a dit : « Tu verras, il t’aidera dans des moments difficiles, lorsque tu te questionneras » Cadeau précieux.
Je ne me souviens pas de mon premier tirage mais il a dû être suffisamment parlant pour que je continue. Le livre jaune a été remplacé par un livre rouge (non, non, pas le petit livre rouge de Mao !), d’accès rendu plus facile aux occidentaux, grâce à Cyrille Javary, sinologue émérite et passionné. Il explique que le Yi Jing n’est pas un livre divinatoire. Il décrit le fonctionnement du monde par sa propre respiration, c’est à dire sans intervention d’un dieu créateur. C’est un livre qui aide à la connaissance de soi et à la prise de décision. Il ne donne pas de réponses, il fait réfléchir, il ouvre des pistes.
Sagesse millénaire, écrite d’abord sur des carapaces de tortues, lointaines ancêtres auxquelles nous ressemblons, avec nos ventres fragiles que nous protégeons, tant bien que mal. Comme elles, lorsque nous sommes renversés par quelque coup du sort, nous ne pouvons pas nous relever seuls.
Les deux dernières années nous l’ont montré. Nos savoirs, nos pouvoirs humains dont nous sommes si fiers, ont basculé sous les menaces insidieuses d’un virus inconnu. Nous ne savons pas, nous apprenons, nous cherchons, répètent les savants en blouse blanche, étonnés de trouver une place d’honneur dans la société qui le plus souvent les ignore. Nous ne pouvons rien sans vous, disent les chefs qui, hier, prétendaient, au cours de quelque réunion au sommet, déterminer l’avenir.
Et nous nous sommes retrouvés sous nos masques, marchant à l’aveugle sans savoir vers quoi. Quelques fanfaronnades trouent parfois le silence, vaines mais dangereuses protestations qui créent des fossés, des tranchées.
Une belle dégringolade, une belle débarque comme on dit au Québec.
Les changements d’année, tout artificiels qu’ils soient, sont les bienvenus, avec les souhaits affectueux, les vœux lancés vers ceux qu’on aime, comme des filets protecteurs. On les sait symboliques mais, dans les passages importants de la vie, les symboles comptent.
Le tirage du Yi Jing est une sorte de vœu que je fais pour moi-même, une question lancée entre hasard et destinée, entre intuition et raison, entre prose et poésie. Pas de routes tracées d’avance mais des sentiers, des repères.
Voici donc le Yi Jing, tiré en réponse à la question : Comment puis-je participer à retrouver de l’espoir ?
Numéro 29 : S’entraîner au passage des ravins
Je résume : Sens de la calligraphie : En haut, un oiseau s’entraîne à voler. En bas, gorge serrée, gouffre à franchir.
Commentaire : Lorsqu’on se trouve devant un gouffre on est surpris, désarmé.
Retrouver un courant de confiance qui soutienne comme l’air porte les ailes de l’oisillon.
Rassembler le cœur (disposition intérieure, volonté, conscience morale) en tissant les diffèrents fils de sensibilité, brin à brin, par la répétition. Ne pas se laisser gagner par l’inertie.
En lisant le texte, j’ai été frappée par l’image de l’oiseau qui reprenait mes propres images. Hasard, synchronicité ? Chacun choisit ses croyances.
Moi, j’y trouve un symbole qui me parle.
Fragilité et force. N’oublier ni l’une ni l’autre.
Solitude et liens, indispensables.
Temps de repos sans inertie.
Préparer le printemps en repérant toutes les graines nourricières d’espoir, de tendresse, de partage, d’amour. Il y en a !
Au printemps
Lorsque les premiers beaux jours arrivent, que la terre s’éveille et reverdit, que la tiédeur parfumée de l’air nous caresse la peau,….il nous vient des désirs vagues de bonheurs indéfinis, des envies de courir, d’aller au hasard, de chercher aventure. De boire du printemps.
Guy de Maupassant
Buvons donc au printemps qui viendra.
- A. Condamin
C'est bon, Andrée, de revenir me nourrir ici. J'ai puisé beaucoup dans ce texte. L'importance des contraires, du mouvement... ☺️ Merci !
« S’entraîner au passage des ravins »
Cette proposition du Yi Jing me ramène à ma prière du matin, alors que je demande à Dieu de me montrer les passages que j'ai à traverser.
En montagnes comme en ravins, j’aspire à savoir y lâcher-prise sur ce à quoi je me cramponne et qui fait obstacle aux nouveautés de la vie. Entre solitude et liens, savoir trouver la juste distance. Enfin garder le cœur ouvert et ainsi découvrir de nouvelles façons d’aimer.
Mais je fais volontiers mienne ton interprétation du message :
Fragilité et force. N’oublier ni l’une ni l’autre.
Solitude et liens, indispensables.
Temps de repos sans inertie.
Préparer le printemps en repérant toutes les graines nourricières d’espoir, de tendresse,…